Boîte de Nuit
mercredi 26 novembre 2025
lundi 27 octobre 2025
Verbes en -ir
L'époque des larmes va finir. L'époque des matières alcooliques, des foulards mal ajustés, des par-dessus qui puent la plume d'oiseaux aquatiques.
L'époque des regards torves, des délais impossibles à se rouler par terre, l'époque de l'ivresse ivre, des sentiments profonds mais ô combien fugaces, l'époque des rires va finir.
L'époque des bills à payer, l'époque des rêves à finir. Va finir.
Le temps de rétrécir au point d'immensité. L'espace d'une, de deux, de cent trente mille gouttes d'eau sur de la roche nue et friable.
Le temps d'être un arbre va venir.
mardi 14 octobre 2025
Sonate pour violon et piano
Y aura-t-il toujours de quoi boire? De quoi respirer? L'altérité mènera-t-elle forcément au meurtre?
Est-ce que les bazars où l'on trouve de vieux disques oubliés vont disparaître? Comme les sources d'eau potable?
Il y a cette fertile vacuité, à l'écart de toute agitation, cette idée de ne pas combattre.
Il faut faire de l'espace, dépoussiérer les livres, organiser l'univers. Mesurer le poids d'un vieil amplificateur, la lumière qu'il émet une fois branché.
De quoi illuminer beaucoup de villes, beaucoup de nuits.
L'esprit trouvera une nouvelle caverne, une fois le corps écroulé. Quelconque firmament fera l'affaire, un piano aqueux, un violon qui ne tombe jamais par terre, trop léger.
Mélanger de l'eau à l'alcool libère de la chaleur. Comme l'éthanol s'évapore, le miracle de la conscience aussi.
Comme le rhum aide à mieux respirer.
vendredi 10 octobre 2025
Demain
Faire des pompes, demain. Faire de la soupe. Hurler quelque part, trois fois quatre secondes environ, ça suffit. Soutenir une cause, au hasard : Tel peuple, au bord de l'extinction, pourra enfin boire de l'eau, casser la croûte. Attendez, que je trouve un billet. Sinon quelques pièces?
Dans un bar pourri, renaître, à quatre heures de l'après-midi : Redécouvrir le whisky, ça se fête! Parfois j''oublie de me laver, parce que je n'ai pas d'odeur. La cause de démangeaisons, probable. J'ai cru manoeuvrer des choses immenses, étant tout-petit : éteindre le four, barrer la porte, ne pas ouvrir aux inconnus. Une prière chaque soir avant de me coucher.
Ça m'a rendu nerveux.
La maison se crispe, à l'heure du froid. Il règne un silence ici. Je ne sais pas si je vieillis vraiment. Je n'ai pas de corne, sauf la nuit. Soucieux de l'image mais pas trop. Je sais de quoi j'ai l'air : J'ai l'air épais, pataud, à la fois rouge et gris, je commets des gestes distendus, éparpillés, les yeux ailleurs. Mes intérêts sont variés. Je peux même devenir un animal, un animal de compagnie. On verra.
Plus tard est un autre jour.
vendredi 26 septembre 2025
Honneur au mérite
J'ai remporté le prix de la plus belle personnalité de l'année. Un honneur qui, je dois le dire, m'a pris de court.
On ne m'a pas précisé l'année par contre, ce qui m'a semblé inhabituel, en pareilles circonstances. Et concernant le prix, j'ai dû me rendre, pour le réclamer, dans une région forestière extrêmement reculée, proche de la frontière avec le Labrador. Cet aspect m'a aussi laissé perplexe, mais n'étant pas habitué aux honneurs, je me suis armé de résilience, bien décidé à réclamer mon prix en bonne et due forme.
Après un interminable voyage en autobus, puis quelques heures de train, j'ai dû parcourir la dernière centaine de kilomètres dans une guimbarde qui puait l'essence, avec des autochtones peu bavards, plutôt moroses d'ailleurs, mais qui m'ont laissé gentiment grimper à l'arrière, où je me suis endormi un long moment, un très long moment.
Puis, vers la tombée du jour, le camion a ralenti, s'est immobilisé, sans couper le moteur, me signifiant, du moins l'ai-je interprété ainsi, que j'étais arrivé à destination. Le comité d'accueil était composé d'asphalte, de pénombre, et d'arbres. Je me frayai un chemin parmi ceux-ci.
Je dus marcher longtemps, trois ou quatre jours probablement, dans cette forêt de conifères froide et mouillée, sous un ciel plombé, où je ne parvins à identifier aucune sorte de nourriture comestible à l'homme. Une boîte de noix et fruits séchés, retrouvée au fond de mon sac à dos, et quelque cours d'eau minuscule déniché au hasard des branches, m'ont permis de survivre.
À la tombée du troisième ou quatrième jour, j'arrivai, vers la fin d'un sentier non-balisé face à un petit écriteau, cloué à un arbre, où était peint à la main un message laconique : « Vous êtes ici ». En des circonstances différentes, j'aurais pu sourire. Un terrain s'ouvrait, où se trouvait un bâtiment immense, sorte de vieille grange en bois foncé, muni de rallonges interminables, qui s'enfonçait dans la noirceur. Je réussis, ne me demandez pas comment, à y pénétrer par quelque interstice.
La cérémonie de remise du prix se déroula toutes lumières éteintes, dans un silence glacial, que venait, par moments, perforer un sifflement dû à certaine ouverture entre les bardeaux de la toiture. Le sifflement, d'anarchique et mélodieux, devenait parfois strident et raide, extrêmement intense, puis disparaissait. Je soupçonnai qu'aucune âme qui vive ne se trouvait là, hormis la mienne. Quand j'essayais de parler, ou de hurler, ma voix mourrait aussitôt dans l'épaisse noirceur, ridicule, sans l'ombre d'une réponse évidemment. J'errai de très longues heures, probablement jusqu'au lendemain, dans l'obscurité totale, à trébucher, à m'assommer, puis m'endormir sur quelque équipement agro-industriel dont la rouille s'effritait au contact de mes joues, de mes doigts gelés.
Pris de panique, au matin, je me précipitai dans la grange, haranguant l'air et après une sorte de crise de folie où j'hallucinai toutes sortes de présences hostiles, j'aperçus par miracle à mes pieds une raie de lumière intense, filtrant sous le bois d'une porte.
Je parvins, le cœur battant la chamade, après un effort où je crus que tous mes os allaient se briser, à pousser l'immense structure de bois suffisamment pour me faufiler dehors, où j'allai choir, un peu plus loin, sur un lit de branchages, me recroquevillai puis m'endormis à nouveau.
Je me réveillai à la tombée du jour, transis, affamé. Je saisis une pomme de pin qui gisait au sol devant moi, tentai d'en prendre une bouchée. Le goût de mon propre sang envahit ma bouche. Il y avait un baril, plein à ras-bord, où chatoyait, à la surface, malgré la quasi obscurité, de très faibles lueurs de bleu, de jaune, de violet. Une odeur de gazoline en émanait. Je pris quelques lampées, que je dus vomir aussitôt. À quatre pattes, je léchai frénétiquement les feuilles mortes pour étancher un tant soit peu ma soif.
Je me traînai un long moment, effrayé à l'idée que la grange s'aperçoive de ma fuite, si je me mettais à courir, puis j'atteignis l'extrémité du terrain, où la végétation devenait plus dense. L'état dans lequel je me trouvais alors est difficilement descriptible, mélange de stupeur et d'euphorie.
C'est à ce moment que j'aperçus le cul.
Un cul de femme, qui émergeait des branchages, double croissant de lune bleuté, magnifique, qui fit aussitôt s'accélérer ma respiration. C'était, très certainement, le prix!
Le prix pour lequel j'avais trimé si dur et pour lequel je m'étais engagé dans ce pénible et interminable voyage! Je portai immédiatement les mains à ma récompense, et caressai longuement la double rondeur, fasciné. La chair, glaciale, possédait encore une certaine souplesse, une certaine fermeté, signe que le décès devait dater d'une journée ou deux, tout au plus. Je tremblais dans l'obscurité maintenant parfaite, et je sentis des larmes chaudes inonder mes joues : La première sensation de chaleur que j'éprouvais depuis de longs jours...
C'était comme si je retrouvais une sorte d'espoir (mais en quoi?) absolument irrationnel, et je ressentis le besoin de poser un geste radical de survie : Après de nombreux jours à imploser, j'avais besoin d'exploser, ultime recours afin de ne pas sombrer définitivement dans la folie et la mort.
D'une main, j'écartai les lèvres froides, insuffisamment lubrifiées, certes, mais encore douces, et de l'autre, j'arrachai mon pantalon, saisi par l'urgence de réclamer enfin mon prix! Je poussai un hurlement qui paralysa certainement toute la forêt, et jusqu'au ciel. Un nuage d'haleine fétide s'éleva dans l'air...
Le prix décerné à La plus belle personnalité de l'année, je ne l'aurai pas volé!
mardi 9 septembre 2025
Avant d'oublier (1)
-En guise d'épitaphe, écrire simplement : J'aime la vie.
-Derrière les poubelles, au fond de la ruelle, fraîchement peint sur un vieux mur de ciment : Free Hugs. Il n'y a personne évidemment. Le soir tombe.
-Recevoir le prix de l'acalmie pour l'ensemble de son oeuvre.
mercredi 16 juillet 2025
Dieu
L'univers était une boule noire, posée là, dans un espace autrement plus vaste, illimité, d'une blancheur immaculée, aveuglante. Une blancheur de studio de photographie.
L'univers était immense, tout de même, d'une dimension assez semblable à l'orange Julep. Peut-être un peu plus petit, au fait.
Un gars est arrivé, a gravi un petit escalier de métal en fer forgé noir, et a ouvert une porte sur l'univers, dont l'intérieur semblait d'une noirceur encore plus prégnante que l'extérieur. Sans doute de l'air froid en émanait-il aussi, difficile à dire. Le gars n'a pas cherché à pénétrer à l'intérieur, s'est accoté dans l'embrasure de la porte, cherchant négligemment à scruter l'intérieur du regard, ce qui devait s'avérer assez difficile, considérant les lunettes miroir dont il ne semblait pas prêt à se départir. Une affaire de look. Bandana plié au front, cure-dent installé à demeure aux commissures, jean élimé, t-shirt aux manches grossièrement coupées, tatouages et peau bronzée, bottes de cow-boy, sa « coolitude » n'aurait pas détonnée en 1975, sur une grande avenue de downtown L.A.
Notez cependant qu'il avait choisi de poser ses fesses ici, aux portes de l'univers -sa création, et non sur le capot d'une Buick Century.
Car ce « gars » n'est nul autre que Dieu, créateur de toutes choses, dont cette boule noire aux dimensions légèrement inférieures à celles de l'orange Julep.
« Je me
révélerai être ce que je me révélerai être », pensa-t-il
négligemment, tout en faisant tourner son cure-dents entre le pouce
et l'index. Il avait l'habitude de formuler ce genre d'abstraction, d'une profondeur insondable pour nous.
Puis il referma la porte, secoua un peu son popotin, descendit le petit escalier avec style, et s'en retourna dans la blancheur immaculée.

