J'ai remporté le prix de la plus belle personnalité de l'année. Un honneur qui, je dois le dire, m'a pris de court.
On ne m'a pas précisé l'année par contre, ce qui m'a semblé inhabituel, en pareilles circonstances. Et concernant le prix, j'ai dû me rendre, pour le réclamer, dans une région forestière extrêmement reculée, proche de la frontière avec le Labrador. Cet aspect m'a aussi laissé perplexe, mais n'étant pas habitué aux honneurs, je me suis armé de résilience, bien décidé à réclamer mon prix en bonne et due forme.
Après un interminable voyage en autobus, puis quelques heures de train, j'ai dû parcourir la dernière centaine de kilomètres dans une guimbarde qui puait l'essence, avec des autochtones peu bavards, plutôt moroses d'ailleurs, mais qui m'ont laissé gentiment grimper à l'arrière, où je me suis endormi un long moment, un très long moment.
Puis, vers la tombée du jour, le camion a ralenti, s'est immobilisé, sans couper le moteur, me signifiant, du moins l'ai-je interprété ainsi, que j'étais arrivé à destination. Le comité d'accueil était composé d'asphalte, de pénombre, et d'arbres. Je me frayai un chemin parmi ceux-ci.
Je dus marcher longtemps, trois ou quatre jours probablement, dans cette forêt de conifères froide et mouillée, sous un ciel plombé, où je ne parvins à identifier aucune sorte de nourriture comestible à l'homme. Une boîte de noix et fruits séchés, retrouvé au fond de mon sac à dos, et quelque cours d'eau minuscule déniché au hasard des branches, m'ont permis de survivre.
À la tombée du troisième ou quatrième jour, j'arrivai, vers la fin d'un sentier non-balisé face à un petit écriteau, cloué à un arbre, où était peint à la main un message laconique : « Vous êtes ici ». En des circonstances différentes, j'aurais pu sourire. Un terrain s'ouvrait, où se trouvait un bâtiment immense, sorte de vieille grange en bois foncé, muni de rallonges interminables, qui s'enfonçait dans la noirceur. Je réussis, ne me demandez plus comment, à y pénétrer par quelque interstice.
La cérémonie de remise du prix se déroula toutes lumières éteintes, dans un silence glacial, que venait, par moments, perforer un sifflement dû à certaine ouverture entre les bardeaux de la toiture. Le sifflement, d'anarchique et mélodieux, devenait parfois strident et raide, extrêmement intense, puis disparaissait. Je soupçonnai qu'aucune âme qui vive ne se trouvait là, hormis la mienne. Quand j'essayais de parler, ou de hurler, ma voix mourrait aussitôt dans l'épaisse noirceur, ridicule, sans l'ombre d'une réponse évidemment. J'errai de très longues heures, probablement jusqu'au lendemain, dans l'obscurité totale, à trébucher, à m'assommer, puis m'endormir sur quelque équipement ago-industriel dont la rouille s'effritait au contact de mes joues et de mes doigts gelés.
Pris de panique, au matin, je me précipitai dans la grange, haranguant l'air et après une sorte de crise de folie où j'hallucinai toutes sortes de présences hostiles, j'aperçus, par miracle à mes pieds, une raie de lumière intense, filtrant sous le bois d'une porte.
Je parvins, le cœur battant la chamade, après un effort où je crus que tous mes os allaient se briser, à pousser l'immense structure de bois suffisamment pour me faufiler dehors, où j'allai choir, un peu plus loin, sur un lit de branchages, me recroquevillai puis m'endormis.
Je me réveillai à la tombée du jour, transis, affamé. Je saisis une pomme de pin qui gisait au sol devant moi, tentai d'en prendre une bouchée. Le goût de mon propre sang envahit ma bouche. Il y avait un baril, plein à ras-bord, où chatoyait, à la surface, malgré la quasi obscurité, de très faibles lueurs de bleu, de jaune, de violet. Une odeur de gazoline en émanait. Je pris quelques lampées, que je dus vomir aussitôt. À quatre pattes, je léchai frénétiquement les feuilles mortes pour étancher un tant soit peu ma soif.
Je me traînai un long moment, effrayé à l'idée que la grange s'aperçoive de ma fuite, si je me mettais à courir, puis j'atteignis l'extrémité du terrain, où la végétation devenait plus dense. L'état dans lequel je me trouvais alors est difficilement descriptible, mélange de stupeur et d'euphorie.
C'est à ce moment que j'aperçus le cul: Un cul de femme, qui émergeait des branchages, double croissant de lune bleuté, magnifique, qui fit aussitôt s'accélérer ma respiration. C'était, très certainement, le prix!
Le prix pour lequel j'avais trimé si dur et pour lequel je m'étais engagé dans ce pénible et interminable voyage! Je portai immédiatement les mains à ma récompense, et caressai longuement la double rondeur, fasciné. La chair, glaciale, possédait encore une certaine souplesse, une certaine fermeté, signe que le décès devait dater d'une journée ou deux, tout au plus. Je tremblais dans l'obscurité maintenant parfaite, et je sentis des larmes chaudes inonder mes joues : La première sensation de chaleur que j'éprouvais depuis de longs jours...
C'était comme si je retrouvais une sorte d'espoir absolument irrationnel (mais en quoi?), et je ressentis le besoin de poser un geste radical de survie! Après de nombreux jours à imploser, j'avais besoin d'exploser, ultime recours afin de ne pas sombrer définitivement dans la folie et la mort.
D'une main, j'écartai les lèvres froides, insuffisamment lubrifiées, certes, mais encore douces, et de l'autre, j'arrachai mon pantalon, saisi par l'urgence de réclamer enfin mon prix! Je poussai un hurlement qui paralysa certainement toute la forêt, et jusqu'au ciel. Un nuage d'haleine fétide s'éleva dans l'air...
Je ne l'aurai pas volé, certes! Le prix décerné à La plus belle personnalité de l'année.
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